LES MASQUES DE LA VIE
Dans les premiers temps de la dramaturgie ─ entre autres dans la Commedia dell’arte ─ on ne jouait pas à visage découvert, mais toujours avec des masques. Ainsi en est-il dans la vie. Nous prenons conscience qu’il n’est pas suffisant de composer un personnage, le plus beau et le plus conforme possible à nos rêves, nous lui ajoutons un ou des masques.
C’est ainsi qu’au cours de notre existence, nous nous affublons d’un nombre incroyable de masques, nous assumons à l’infini des rôles différents qui, même s’ils sont nécessaires pour répondre aux provocations de la vie, peuvent dissimuler (masquer) notre être dans sa vérité la plus profonde et nous empêcher d’accéder à notre véritable identité.
Eric Fromm a parlé en ce sens de la persona, c’est-à-dire les différents masques et personnages qu’un individu utilise dans sa relation sociale. Il se dresse en même temps contre le paraître qui dissimule la nature véritable de la personne. Le masque correspond à une image contrefaite et travestie de soi-même et non à la structure réelle de sa personnalité. Tout l’enjeu repose alors sur le défi que représente le désir d’être soi et celui d’être autre que soi. Le jeu de «l’illusion» au détriment de celui de l’authenticité. Dans ces conditions, quel titre pourrait le mieux coiffer la pièce de notre vie? Je pense ici à la phrase célèbre de Rimbaud: «Je est un autre.» Ou encore à cette affirmation, l’une des plus connues de la philosophie, que l’on pourrait parodier ainsi: «Je parais, donc je suis.»
Ces expressions évoquent l’idée que, consciemment ou inconsciemment, nous nous retrouvons au sein d’une dialectique oscillant constamment entre l’être et le paraître. Et comme au théâtre où c’est le paraître qui domine le plus souvent notre jeu, nous ne sommes jamais vraiment nous-mêmes. La vérité, c’est que chaque individu, avant d’être un acteur aux nombreux masques, est doté d’une identité originelle qui correspond davantage à l’essence du « Je suis » qu’à celui du «Je parais». Voilà pourquoi «devenir soi-même» devrait être le véritable sujet de la pièce de notre vie. Mettre au jour notre identité, ce que nous sommes vraiment et ainsi ne pas se perdre dans les images que l’on donne de soi, à travers les nombreux faux-semblants avec lesquels nous tapissons notre identité.
Montrer l’image réelle de soi-même ramène dans le champ de la psychologie, où la projection apparaît comme un mécanisme vital. Si nous n’avions pas la capacité de nous «projeter», nous serions probablement tous en dépression ou fous. Nous vivrions isolés, en vase clos, comme une molécule fermée sur nous-mêmes. L’être humain utilise la projection comme un réflexe naturel, un mécanisme de défense, dans le sens où Freud l’entendait, c’est-à-dire l’opération mentale, généralement inconsciente, par laquelle une personne place sur quelqu’un d’autre ses propres sentiments. Cela permet d’une certaine façon de mieux répartir le poids de la réalité existentielle entre les humains.
La projection peut cependant prendre une orientation pathologique. On peut chercher un bouc émissaire à une rancœur, une jalousie, les reportant sur autrui pour s’exonérer de tout blâme. Par exemple, au lieu de dire que nous sommes jaloux d’une personne, nous dirons volontiers que c’est la personne qui est jalouse de nous. C’est parce qu’elle nous en veut qu’elle agit de cette façon. Nous pourrions multiplier les cas de ce genre dans une journée, que dis-je, dans toute une vie.
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