La vie arrive à travers nous
Certaines personnes ont une force d’âme vraiment extraordinaire. Le monde leur envoie du chaos, ou on les insulte, parfois leurs plans s’effondrent complètement, d’année en année les échecs s’enchaînent et pourtant elles restent stables, presque sereines. Tout se passe comme si elles se tenaient dans l’œil d’un cyclone, immobiles, comme si les tempêtes de l’existence ne les atteignaient pas. Comment font-elles?
Pour ma part, je traverse souvent cette vie en réagissant à tout : quelqu’un me coupe la route et je ressens immédiatement un sentiment de frustration, voire de colère. Une connaissance me fait une remarque désobligeante et je deviens morose, agressif, et mon humeur tombe en ruine pour la journée. Si on m’observe en me jetant un regard que je trouve bizarre, j’ai l’impression qu’on m’espionne et je commence à me douter de quelque chose alors que rien ne se passe vraiment. Comment pourrais-je me libérer de toutes ces illusions qui gâchent le plus clair de mon temps? Ce serait un savoir précieux puisque si tu sais ce qui te blesse, tu sais automatiquement ce qui blesse aussi les autres.
Suis-je prisonnier de mes propres réactions? Je serais bien plus heureux si plus rien ni personne, ni si une quelconque force extérieure n’avait d’emprise sur moi, si plus aucune réflexion ou nouvelle du soir n’avait le pouvoir de m’affecter. Je ne sais pas si beaucoup de gens sont comme moi, mais j’ai souvent l’impression que la vie me fait subir des épreuves alors qu’en réalité elle ne fait que refléter ce que je n’ai pas encore maîtrisé en moi-même. J’ai beau savoir que rien ne peut m’atteindre à moins de trouver quelque part en moi un point d’accroche, je me prends encore les pieds dans le tapis de l’existence. Pourtant je sais très bien que si quelqu’un me traite d’idiot et que cela me met en colère, c’est simplement parce qu’une part de moi craint que ce soit la réalité. Autre chose : si une personne que j’aime semble m’ignorer et que cette apparente indifférence me blesse, je devrais me demander pourquoi cela m’affecte à ce point. La réponse est claire : parce qu’une part de mon ego recherche encore une validation extérieure. C’est pourquoi deux personnes peuvent vivre exactement la même situation et réagir totalement différemment.
Ce n’est jamais ce qui m’arrive qui compte finalement, mais ce qui se passe au fond de moi. Carl Yung disait que tout le travail intérieur de purification consiste en une seule chose : rendre l’inconscient conscient, lorsque ce qui est inconscient est amené à la conscience. Être en pleine conscience des réflexes émotifs qui nous font réagir inconsciemment. Cela pourrait se réduire à comprendre que chaque irritation, chaque frustration, chaque sentiment dépressif est une sorte de déclencheur interne porteur d’un message particulier que nous devons décoder. Or, la plupart du temps, j’ai tendance à fuir ces déclencheurs. J’essaie de les faire taire par toutes sortes de moyens, ou carrément de les ignorer. Le pire, c’est quand je me mets à blâmer les autres pour les sentiments négatifs que je ressens. Quand vais-je finir par saisir une bonne fois pour toutes que le monde extérieur n’est rien d’autre que le miroir de ma vie intérieure? Je suis certain d’une chose : le jour où je vais comprendre ce phénomène universel, alors quelque chose de puissant et de transformateur va finir par débloquer en moi. Il est même possible que je puisse de cette manière acquérir la capacité de me maîtriser et de mieux piloter les choses qui m’arrivent quotidiennement,
Il y a toutefois un problème : je ne veux pas en entendre parler! Je préfère envisager que les problèmes auxquels je suis confronté sont le fruit de la malchance, du régime politique, de Dieu, de l’Église, du chien du voisin, du nouveau pape, du gourou, du mauvais caractère de mon compagnon ou de ma compagne, de mes parents, de mon patron, de l’assurance maladie, du chat de la voisine, du climat, de l’économie, du système, de la mauvaise position des étoiles, que sais-je encore… Je pense que ce sont les autres qui sont responsables de mes souffrances. Quoi? Je serais moi-même responsable de mes problèmes? Comment est-ce possible? Bien entendu, il est beaucoup plus facile de croire que la vie est injuste envers moi que d’admettre que c’est moi, et moi seul, qui donne, ou qui a donné par le passé, tant de pouvoir à tout ce qui m’affecte. Toute l’énergie que j’ai donnée m’est aujourd’hui retournée dans un sens égal et opposé. C’est la même qualité et la même quantité d’énergie, mais elle me revient en opposition, individuellement ou collectivement. Le même phénomène se produit aussi à l’échelle des sociétés entières. Cela signifie que l’esprit collectif du Québec attire les problèmes du Québec, et l’esprit collectif de la France attire les problèmes de la France. Même chose pour le monde entier.
Si j’arrive à cesser de réagir puérilement à tout ce qui m’arrive, alors je cesse d’être contrôlé par les situations. C’est ce que je remarque. L’effet est immédiat. Avec la maîtrise de mes reflexes émotifs inconscients, qui seraient donc devenus conscients, je n’aurais plus absolument besoin d’éviter à tout prix les gens qui me paraissent négatifs. Pareil pour les situations. Plus besoin de chercher à les contrôler. Il ne s’agit pas vraiment de détachement, mais plutôt d’un attachement à être inatteignable. Non pas de l’insensibilité, mais plutôt de l’immunité. Ce n’est pas non plus de la culpabilité, c’est de la responsabilité. Je ne suis ni coupable ni victime, mais seulement responsable des implications et des conséquences énergétiques de mes réactions émotives, non seulement à l’échelle individuelle, mais aussi à l’échelle d’une province ou d’un pays. Il doit exister un ordre subtil derrière tout ce qui semble chaotique, un langage caché, des harmonies profondes qui régissent les événements. Rien n’est laissé au hasard. Les lois de l’univers sont peut-être immatérielles, mais en même temps elles sont profondément ancrées dans la matière et dans la vie matérielle elle-même.
Lorsqu’on parvient à rendre l’inconscient conscient, on s’aperçoit qu’on a passé sa vie à tenter de contrôler des événements ou des êtres humains que nous n’étions pas censés devoir contrôler. La difficulté réside surtout dans l’identification à ce que l’on n’est pas. C’est un problème d’ego : on insiste pour être apprécié, mis en valeur. On réclame, on exige que tout se passe selon ce qu’on a prévu. Il faudrait que tout soit devenu prévisible à 100 %, que tout se déroule selon notre bon plaisir, selon nos plans personnels. Forcément, il arrive très souvent que ce ne soit pas le cas. Et alors on se frustre, on se met en colère, on souffre. On ressent ce sentiment illusoire que la vie est injuste, qu’elle nous trahit et que le monde entier nous manque de respect. En réalité, le monde entier a d’autres choses à penser.
L’un des quatre grands accords toltèques enseigne de ne rien prendre personnellement, mais j’ai la mauvaise habitude de faire l’inverse. Pourtant, rien n’est vraiment sous notre contrôle, sauf peut-être la manière dont on perçoit les événements qui nous arrivent. C’est d’ailleurs à peu près tout ce qu’il nous est possible de maîtriser. Les choses sont ce qu’elles sont, ni plus ni moins, ni cruelles ni sincèrement bienveillantes. La sagesse de la Bhagavad Gita nous conseille d’endurer sans rien dire les joies et les peines de la vie, et pour deux raisons. La première est pratico-pratique : tout finit toujours par passer. Les bonheurs comme les malheurs passent comme les saisons, étés et hivers se succèdent, et nous n’y pouvons rien changer, sauf notre façon de les percevoir. La deuxième raison est plus philosophique : les joies et les peines de la vie ne sont dues qu’à la rencontre des sens avec la matière et, par conséquent, la seule chose à faire serait de les tolérer sans en être affecté.
Facile à dire… Néanmoins, la réalité est telle que ce qui la rend positive ou négative demeure le filtre à travers lequel je perçois ces joies et ces peines.
Soyons donc philosophes : une épreuve peut devenir très vite une porte grande ouverte vers quelque occasion inattendue. N’est-ce pas un phénomène naturel tout de même assez courant? Il n’en reste pas moins que si je n’arrive pas, durant les quelques décennies de cette vie terrestre, à rendre conscient ce qui traîne encore dans mon inconscient, alors celui-ci sera aux commandes de mon existence et mettra en place toutes les situations que j’aurai à traverser de gré ou de force, et j’appellerai cela le karma, ou le destin, la destinée, la providence ou la malchance, au choix. En fait, la vie ne semble pas nous arriver. C’est plutôt l’inverse, c’est à travers nous qu’elle arrive. Donc, plus on essaie de contrôler le monde de l’extérieur, en voulant que tout soit conforme à nos « plans de match », plus nous donnons à ce monde extérieur du pouvoir sur nous. « C’est la première phase du travail intérieur », dit l’Alchimiste de Paulo Coelho.
Maintenant, vais-je me décider à effectuer ce travail? Je vais de l’avant ou je reste en arrière? Lorsque je voyageais en Afrique, dans ma jeunesse, j’entendais souvent les vieux sages des villages du Mali ou du Sénégal raconter des histoires. Et très souvent leurs discours finissaient par le même proverbe : « Si tu vas en avant, tu meurs. Si tu vas en arrière, tu meurs pareil; alors il vaut mieux que tu ailles en avant et que tu meures à toi-même. » Je pense que je vais suivre leur conseil.
Prahladji Patrick Bernard, 9 mai 2025.
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