LA PEUR SANS LIMITES

1975, j’ai 25 ans, je suis en charge des communications d’urgence à la Protection Civile du Québec, sur la rue Jackson à Québec. Je suis marié depuis deux ans, deux enfants à charge et j’ai un ami, un collègue de bureau, qui se prénomme Renaud et qui vient de Mont-Joli. Cet été-là, je vais vivre la Tornade de Saint-Bonaventure qui sera une expérience humaine surdimensionnée, mais quelque temps après, ce souvenir n’est pas très clair, je décide d’offrir l’occasion à Renaud et à sa blonde de vivre une excursion vers la vraie mer. Il n’arrête pas de parler du fleuve comme étant la mer et ça m’énerve. « La vraie mer, Renaud, c’est de l’autre côté, tout le long de la côte jusqu’en Antarctique, alors lâche-moi avec ton fleuve. »

Marché conclu, le petit couple va venir avec nous à Virginia Beach! Et nous voilà partis, à quatre dans ma Volks bleu poudre, pour les
« Zétats » Pas d’enfants.

Là-bas, je les préviens que les meilleures places sont toujours près du Pier, où sont les boutiques, les snack-bars et les toilettes, et donc d’arriver tôt. Et là, je fais rire de moi. Il est 10 heures, et comme prévu, il y a de la place en masse, oui, mais …que ça ! Il n’y a presque personne, et Renaud de bâiller tout ce qu’il sait et qu’on aurait pu dormir plus longtemps.

Mais je n’y comprends rien. Que ce soit à Old Orchard, à Cape Cod, ici ou dans les Carolines, les plages de la côte américaine sont toujours bondées. Même pas un foutu goéland et je ne comprends pas. Je pense alors aux man-o’ war’s, ces galères portugaises très vicieuses qui peuvent causer des brûlures très intenses mais le drapeau du Lifeguard n’indique rien de tout cela.

Le Lifeguard me répond avec un accent à bûcher dessus et je ne comprends rien de son charabia. J’ai l’impression qu’il a un sac de gomme balloune dans la gueule.

On finira bien par comprendre. Cet été-là, Steven Spielberg, un jeune réalisateur inconnu mais qui fera son chemin jusqu’aux étoiles, vient de sortir « Jaws » et quand nous en verrons la version française à Québec, à notre retour, « Les Dents de la Mer » tout va s’éclairer.

Jaws est le film qui m’a plus impressionné par l’authentique peur qu’il suscite. On peut générer de très fortes réactions uniquement qu’à dire « shark » sur une plage américaine et ces dernières années, le phénomène s’est reproduit mais pour vrai, avec une recrudescence d’attaques de requins en raison, semble-t-il, de changements dans les courants causés par le réchauffement climatique, ce qui se tient, le Gulf Stream s’étant effectivement déplacé et avec lui les bancs de poissons dont se nourrissent les requins.

Plus tard, nous apprendrons que cet été-là, les plages américaines ont été boudées par des dizaines et des dizaines de millions de touristes et d’Américains qui se sont CONFINÉS SUR LA PLAGE, N’OSANT METTRE UN PIED DANS L’EAU et tout cela à cause…d’un film.

Un film et que ça! Sur un requin imaginaire, dont le comportement tel que décrit par l’auteur du livre Jaws, Peter Benchley, est hyper romancé et totalement incompatible avec le béhaviorisme des squales, même celui du carcharodon carcharias, communément appelé le grand blanc.

Un film, de la pellicule et que ça, aura semé une peur incapacitante à des millions d’adultes. L’effet Jaws est demeuré pendant des années car pour un grand nombre de personnes, l’idée qu’une mort silencieuse et invisible puisse roder sous les eaux est devenue une possibilité, n’importe où, du Maine aux Caraïbes et partout ailleurs où des vagues surgissent.

Tiens tiens! Alors imaginez quand cette peur est entretenue jour après jour, par des prophètes de malheur, incapables de gérer une crise, voilà ce que ça donne et lorsqu’elle sera terminée, il y a encore des apeurés, tremblant comme des moutons qui vont se balader avec une couche en plein visage Parce que chez un trop grand nombre, la peur leur colle dessus, comme une maladie de peau urticante qui ne veut plus disparaître.

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