COMME L’OISEAU DE MINERVE

Sur la terre des vivants, nous ressemblons étrangement à cet oiseau légendaire venu de nulle part ─  peut-être bien l’oiseau de Minerve ─  qui entre dans la maison par une fenêtre entre-ouverte, bat de l’aile quelques instants, puis cherche une issue pour repartir par une autre fenêtre, avant de se perdre dans la nuit. C’est bien ainsi que l’on peut imaginer la pièce de notre vie. Chacun vient figurer quelques instants sur la trame spatio-temporelle de l’Univers, fait son numéro, cherche une issue favorable à sa condition et à sa destinée, puis disparaît, Dieu sait où, peut-être bien dans ce lieu mystérieux où séjournent éternellement les âmes.

Mais il y a aussi un autre aspect important de notre destin auquel nous ne songeons pas souvent. Plongés dans le tourbillon de la vie, nous oublions que nous sommes sur terre non pas uniquement pour témoigner de notre présence mais aussi pour représenter l’humanité. Posons-nous alors la question: Quelle image de nous-mêmes voudrions-nous laisser à l’humanité? Bien plus. Quelle image de l’humanité voudrions-nous laisser à l’histoire?

Prenons une comparaison. Si l’on «projetait» le scénario de notre vie vers d’éventuelles planètes habitées de l’Univers, quelles scènes de notre vie représenteraient le mieux l’humanité dont nous sommes le ou la digne représentant(e)? Quelle pulsation de la vie humaine pourrions-nous transmettre? Nous sommes habitués à regarder la réalité de bas en haut. Mais la regarder de haut en bas agrandit considérablement le champ de nos perceptions, donne une dimension à l’histoire de notre vie qui transcende l’humble réalité de laquelle nous faisons partie.

Nous entendons souvent les motivologues clamer : cessez d’être spectateurs, devenez les acteurs de votre vie. D’accord, mais il ne faut pas oublier que nous ne sommes pas toujours maîtres de notre personnage. Parfois, c’est nous qui entrons dans le personnage, parfois c’est le personnage qui entre en nous avec cette possibilité du meilleur et du pire. Nous obéissons alors à la loi de l’amplitude oscillante évoquée par Jacques Attali: le monde va aussi loin dans le mal qu’il va loin dans le bien. Voilà pourquoi le risque du meilleur et du pire entre dans le scénario même de notre vie.

Quoi qu’il en soit, comme au théâtre, notre importance dans la vie varie selon divers facteurs dont nous n’avons pas toujours la maîtrise: le choix du créateur, l’intérêt dramatique, l’approbation de ceux qui nous regardent. Certains ont des petits rôles, d’autres sont des protagonistes qui rendent indispensable leur présence dans la pièce. Quelques-uns ne sont que des fantoches, des figurants qui font partie du décor mais qui n’ont aucune influence sur le déroulement des événements et des actions. Certains acteurs ont du charisme, d’autres sont fades, ne produisant aucun effet. Leur présence est si précaire qu’on se surprend parfois à souhaiter qu’ils brillent plutôt par leur absence.

Pour réaliser notre rôle, nous avons cependant tous des cartes, des atouts, et le succès de la pièce de notre vie dépend en grande partie de ces éléments. Il y en a qui gâchent leurs atouts et d’autres qui gagnent la partie, même avec de sérieux handicaps. La grande leçon qui se dégage, c’est que nous n’avons qu’une vie, il faut la réussir et non pas perdre un temps précieux à jouer ce que nous ne sommes pas. Il ne faut pas non plus que notre vie devienne un psychodrame sinistre au sein duquel on se résout à figurer, en attendant que le rideau tombe. Là-dessus, j’emprunte la réflexion que faisait Sénèque dans Lettres à Lucilius: «La vie, c’est une pièce de théâtre: ce qui compte ce n’est pas qu’elle soit longue, mais qu’elle soit bien jouée.»

Jean-Paul Simard,

Écrivain

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